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Images d'art
14 décembre 2014

Turner. Cinéma et Tate Gallery.

Pour tous les amateurs de Turner qui emplissent les salles, il est évident que ce film est fait pour eux, en magnifiant le peintre de marines et le précurseur de l'impressionnisme. Classé comme biopic, il prétend attirer davantage que les seuls aficionados de l'artiste : l'interprète principal a été choisi pour séduire un vaste public. Prix d'interprétation masculine à Cannes, Timothy Spall donne vie à ce peintre par son incontestable présence et le talent avec lequel il s'est glissé dans un personnage bougon et misanthrope ; sa performance est réussie au point qu'on doute que le film dépasse allégrement les deux heures.

• Biopic, oui. Mais Mike Leigh a coupé dans la chronologie, supprimé toute la jeunesse du héros et sacrifié certains aspects du personnage. On ne le voit pas enseigner à la Royal Academy où ses leçons cessèrent faute d'auditeurs... Mike Leigh a choisi de commencer l'évocation de Turner au retour d'un voyage en Hollande où il est allé admirer ses devanciers, tels Rembrandt ou Ruysdael...

La relation de ses autres voyages est réduite à quelques images : Turner dans le Lake District ou en Écosse. Mike Leigh n'a pas jugé bon d'insister sur l'Italie, visitée à trois reprises en 1819, 1829 et 1840, preuve qu'il ne recherchait pas l'inspiration dans sa seule terre natale. Partout, on le voit bien, Turner griffonnait dans son carnet mais c'était pour en tirer des gravures ou des illustrations pour l'édition.

En bord de mer, chez Mrs Booth qui lui propose du thé, il réclame de l'eau dans un bol pour faire de l'aquarelle. Priorité à la grande peinture : le réalisateur nous montre beaucoup de ses toiles connues, grands formats accrochés à la Royal Academy ou dans la galerie d'un aristocrate.

Turner est présenté au travail dans son atelier, ou effectuant une retouche sur une toile exposée : la scène est célèbre, Turner fait mine d'ajouter une stupide tache rouge pour provoquer ses collègues présents ; peu après, d'un coup du chiffon qui ne le quittait jamais, il corrige sa touche et c'est une bouée qui complète la marine : admiration du public...

• Film sur un peintre, oui. Mais le réalisateur insiste sur quelques dates, tournants de la vie de l'homme mûr. Il a longtemps vécu avec son père l'ancien barbier qui rase successivement la tête du cochon et la tête de son fils. Son père lui sert d'assistant : il achète et prépare les couleurs ; il monte les toiles sur les châssis.

Il s'amuse à montrer l'éléphant miniaturisé par la perspective à l'acheteur venu dans la galerie admirer Annibal traversant les Alpes.

À la mort du père en 1829, Turner traverse une crise existentielle. Mais il refuse de fréquenter Sarah Danby et de reconnaître les filles qu'il a eues d'elle. Car J. M. W. Turner est misogyne et un homme timide qui fuit ses semblables allant jusqu'à se cacher sous un autre nom : l'initiale M. pour Mallord, lui inspire le nom dont il se sert pour passer incognito à Margate en client du bed & breakfest de Mrs Booth. Nouveau tournant en 1833 : commence alors sa liaison avec cette Mrs Booth auprès de qui il s'installe à Chelsea pour y vivre jusqu'à ses derniers jours, en 1851, s'y faisant appeler Mr Booth.

On retient l'image symbolique d'un Turner contemplant le soleil couchant jusqu'à l'heure de sa mort : « The sun is God » auraient été ses derniers mots. Mais il avait été fier de léguer ses toiles à la nation britannique plutôt que de les vendre 100 000 £ à un nouveau riche. D'où les nombreuses œuvres de Turner à la Tate Gallery*. Il avait cessé d'être avare — mais tardivement !

Le peintre connu est aussi un simple Monsieur Turner, un homme du XIXe siècle comme il y en a tant, avec une servante sous son toit, découvrant les trains et les bateaux à vapeur, fréquentant le bordel et le théâtre populaire où l'on se moque du peintre qui plait aux aristocrates. Mais s'il va au bordel avec son carnet à dessin, c'est pour croquer une jeune personne qui lui rappelle sa mère ou plutôt sa petite sœur décédée adolescente. S'il s'intéresse au train qu'il croise dans la campagne c'est pour un tableau débordant de fumée et de vapeur. S'il s'intéresse aux bateaux c'est pour les peindre en pleine tempête quitte à se faire attacher au mât afin de contempler le spectacle de la neige en mer et fatalement il s'en tire avec une bronchite... comme tout le monde si j'ose dire.

Mais en même temps une fresque précise de la société britannique de la première moitié du XIXe siècle, un goût dominé par les aristocrates et par la reine Victoria qui n'aimait pas plus sa peinture qu'il n'appréciait la nouvelle école, celle des Préraphaélites. On disait qu'avec l'âge Turner se laissait éblouir par la couleur et que son dessin devenait « d'une incorrection choquante » comme il est dit dans la “Biographie universelle” de Michaud — ce qui fait sourire aujourd'hui.

Mr Turner. Film de Mike Leigh. 2014. Environ 140 min.

 

http://www.tate.org.uk/whats-on/tate-britain/exhibition/ey-exhibition-late-turner-painting-set-free

video :

http://bcove.me/7cx5a3ke

 

http://www.tate.org.uk/art/research-publications/jmw-turner

 

 

*- La Tate Gallery expose jusqu'en janvier 2015 les œuvres de sa dernière période sous le titre Late Turner. Painting set free. Une video est accessible par ce lien. Ce musée possède aussi un grand nombre de dessins et d'aquarelles du maître.

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